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Le Roi Étienne et Les Ruines d'Athènes : contexte de la création |
Pour l'inauguration du théâtre allemand de Pest, dont François Ier voulait faire le plus grand théâtre allemand du monde, prévue en octobre 1811 mais retardée jusqu'au 10 février 1812 après quatre ans de travaux. On avait d'abord demandé à Heinrich von Collin (1772-1811), auteur du Coriolan que Beethoven avait illustré avec son ouverture opus 62. Après son refus, on sollicita August von Kotzebue (1761-1819), auteur alors fameux, d'écrire deux pièces nationalistes tirées de l'histoire hongroise. On pourrait s'étonner de voir une pièce en allemand inaugurer un théâtre hongrois. L'éviction des Turcs, qui dominaient une partie importante du pays, par les Habsbourg en 1699, avait conduit à une forte germanisation de la Hongrie. Vers 1800, époque où la proportion de germanophones a été la plus forte, les Ungarndeutschen, Allemands de Hongrie, représentaient près d'un tiers de la population et 70 à 80% de la population des grandes villes parlait allemand. Plus tard, la résistance nationaliste aux Habsbourg devait donner une valeur politique à l'usage de l'allemand, et la langue hongroise commença à progresser. Ofen (Buda) et Pest, centres de la vie littéraire des Allemands de Hongrie, étaient donc des villes germanophones où toutes les publications se faisaient en langue allemande. Un premier théâtre allemand avait ouvert à Pest en 1774 et il avait fallu attendre 1790 pour qu'apparaisse la première troupe de langue hongroise, le premier théâtre national hongrois ne sera fondé qu'en 1837. Auteur le plus prolifique et parmi les plus célèbres de son temps, August von Kotzebue est aujourd'hui bien oublié. Directeur de théâtre à Saint-Pétersbourg, puis Vienne et Weimar, Kotzebue s'était acquis, avec ses drames historiques ou bourgeois, une célébrité internationale, mais ses amitiés pro-russes - il avait été anobli par Catherine II, nommé conseiller d'état puis consul général de Russie à Konigsberg par Alexandre Ier - et ses libelles assassins contre Goethe et le cercle de Weimar l'avaient peu à peu discrédité aux yeux du public allemand. Surtout, envoyé par le tsar sonder l'opinion germanique à l'égard de la Russie, il se rendit très impopulaire en lui écrivant dans ses rapports que les peuples, sous la tutelle de leurs princes n'avaient droit à aucune liberté ou aucune forme de démocratie et en raillant les nationalistes allemands. Il fut assassiné par un étudiant en théologie, Karl Sand, qui le poignarda en s'écriant "Voilà pour toi, traître à la patrie." Cet assassinat servit de prétexte à Metternich pour établir une surveillance étroite des universités, considérées comme des foyers d'agitation politique et patriotique. Kotzebue était alors l'auteur le plus joué en Hongrie, il est d'ailleurs intéressant de savoir que l'un des premiers opéras en langue hongroise, premier conservé en tout cas, La Fuite de Béla (Béla futása) de József Ruzitska a été écrit en 1822 sur un livret de János Kotsi Patkó d'après Kotzebue. La soirée du 10 février 1812 s'ouvrait avec Le Roi Etienne, premier bienfaiteur de la Hongrie (König Stephan, Ungarns erster Wohltäter) racontant la vie d'Etienne Ier (v. 972-1038), fondateur de l'état hongrois, couronné par le pape Sylvestre II le jour de Noël de l'an 1000 et canonisé en 1083, continuait par L'élévation de Pest au statut de ville libre impériale, faisant l'éloge de l'empereur d'Autriche, et s'achevait sur Les Ruines d'Athènes (Die Ruinen von Athen). On y voit Minerve, endormie par Zeus depuis 2000 ans pour avoir abandonné Socrate à ses juges, réveillée par Mercure. Elle s'envole aussitôt pour Athènes mais découvre la Grèce réduite en esclavage par les barbares turcs, puis veut se réfugier à Rome, elle aussi en proie à la décadence. Elle suit alors les Muses réfugiées à Pest, nouvelle ville des lumières, où l'accueillent Thalie et Melpomène dans un cortège triomphal. Dans le tonnerre et les éclairs, Jupiter ordonne que le buste de l'Empereur soit placé sur l'autel entre les muses. La pièce s'achève sur l'apothéose de François Ier. On retrouve là cette idée d'un renouveau germanique de l'hellénisme prenant sa source dans l'art antique, mêlée à une bonne dose d'opportunisme politique. On demanda à Beethoven, musicien alors le plus illustre, d'écrire les musiques de scène. En cure à Teplitz, il ne prit que quelques semaines, entre le 20 août et le 13 septembre 1811, pour transformer les pièces en sorte de petits Singspiels, opéras où la musique se mêle à des textes parlés, comme dans Fidelio ou Die Zauberflöte de Mozart. La musique de scène du Roi Etienne, qui chante d'ailleurs plus les louanges de l'Empereur François Ier d'Autriche et de sa femme que celles du héros hongrois, comprend neuf numéros dont plusieurs passages en mélodrame. Seule l'ouverture fut publiée du vivant de Beethoven, en 1826 par Steiner à Vienne. Pour les Ruines d'Athènes, il composa huit numéros. Outre l'ouverture, la pièce la plus célèbre de cette musique de scène est la n°4 Marcia alla Turca, qui reprend un thème, très inspiré du troisième mouvement Alla Turca de la Sonate K. 331 de Mozart, écrit en 1809 pour ses Variations op. 76. L'éditeur Steiner publia également l'ouverture seule en 1823. Conscient que ces ouvres, qu'il appelait « mes petits opéras », n'étaient que des pages de circonstances assez creuses, Beethoven fut pourtant assez content du succès obtenu pour demander l'année suivante à Kotzebue de lui écrire un livret d'opéra, collaboration qui ne vit jamais le jour. Fâché avec le dramaturge, dont les positions politiques ne pouvaient guère attirer sa sympathie, le compositeur voulut plusieurs fois retravailler sa partition des Ruines d'Athènes après le succès en 1822 de l'adaptation de Carl Meisl sous le titre de Consécration de la maison, dont nous parlerons plus loin. En 1823, il demanda au poète et dramaturge Franz Grillparzer (1791-1872) d'y glisser quelques allusions à la révolution grecque. Grillparzer lui ayant fait remarquer que la censure s'y opposerait, Beethoven se tourna vers Johann Sporschl, lui proposant de transformer la pièce en une apothéose dans le temple de Jupiter Ammon. Finalement le projet ne vit pas le jour, mais l'intérêt de Beethoven pour la révolution grecque montre bien sa sympathie toujours vive pour la cause démocratique. Dominée par l'empire ottoman depuis 1453, la Grèce connaît à partir de la fin du XVIIIe siècle une prise de conscience de l'identité nationale. Influencés par la révolution française, des intellectuels véhiculent ses idées, opposant les conditions de vie actuelles au passé glorieux du pays et aux splendeurs de la Grèce antique. Une première révolte en 1770 avait été réprimée par des troupes albanaises qui dévastèrent la région pendant neuf ans, mais la montée du sentiment national grec et la fondation en 1814 à Odessa d'une société secrète, Philikè Hetaïría (Société amicale) précipitent les événements. En mars 1821, le prince Alexandre Ypsilanti, aide de camp du tsar Alexandre Ier, pénètre en Moldavie. Les troupes grecques sous son commandement sont rapidement vaincues par l'armée ottomane et le mouvement contre-révolutionnaire roumain, mais entre-temps, une révolte éclate le 25 mars dans le Péloponèse. Ce soulèvement allait être le prélude à dix années de révolution et de guerre civile en Grèce. La cause de la révolution grecque, vue d'un mauvais oil par l'Autriche de Metternich - un peuple n'a pas à se soulever contre son maître, fût-il étranger - enthousiasme artistes et intellectuels européens ; Byron, héros de l'indépendance grecque, meurt en 1824 à Missolonghi, Delacroix peint la Grèce expirant sur les ruines de Missolonghi.
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Analyse de l'ouverture Le Roi Etienne, opus 117 |
Introduction 2/4 (Andante con moto)
Exposition (2/4 Presto).
Réexposition
Coda
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Analyse de l'ouverture des Ruines d'Athènes, opus 113 |
Introduction (6/8 Andante con moto)
Marcia moderato (4/4)
Exposition (2/2 Allegro ma non troppo)
Développement
Réexposition.
Coda
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Conclusion |
Ouvres de circonstance, lit-on souvent à propos de ces deux ouvertures ; elles le sont certes à plus d'un titre, tout à la fois tributaires d'une commande et reflet des préoccupations esthétiques des temps qui les ont vu naître. On a pu aussi les juger bien peu représentatives du génie beethovénien. Cette appréciation n'est sans doute pas entièrement fausse si l'on se réfère à leur valeur esthétique par rapport à d'autres ouvres contemporaines, comme la Septième symphonie, mais demanderait à être nuancée et explicitée. Il serait sans doute trompeur de voir dans l'utilisation d'éléments extérieurs au langage beethovénien, comme l'emprunt de rythmes de la métrique ancienne, les signes d'une simple méforme ou, pire, d'un manque subit d'inspiration. Car ces contraintes d'écriture ne sont en rien imputables à une pression extérieure mais librement voulues par Beethoven et témoignent de sa volonté du moment de réinventer un style "à l'antique", tout à fait dans la lignée des préoccupations stylistiques de l'époque. Préoccupations non seulement liées au retour au modèle antique dans la culture allemande, mais également au contexte historique et politique. Même si ce point, largement répandu, reste toujours l'objet de controverses, il n'est pas impossible de voir dans l'utilisation de tels rythmes l'influence des cérémonies révolutionnaires, avec leurs références constantes au modèle antique. Le fait que ces éléments soient ici clairement identifiables montrent surtout que Beethoven ne les avait pas encore pleinement assimilés à son propre style, sa propre écriture. Ils restent visibles comme des éléments étrangers et leur utilisation paraît parfois bien artificielle, comme dans les accompagnements de cordes si étranges de l'ouverture des Ruines d'Athènes, car ils restent plaqués et non intégrés. Mais, la Septième symphonie opus 92, composée à la même époque exactement que ces ouvertures, ne souffre, elle, d'aucune panne d'inspiration et utilise, mais avec une toute autre virtuosité d'écriture, des éléments semblables. On a souligné la proximité des thèmes, on devrait également souligner que le caractère très rythmique de la 7e symphonie tient pour beaucoup à l'utilisation de jeux sur les durées dont on trouve ici les germes. Également, le parcours harmonique parfois inhabituel de ces ouvertures, avec leurs nombreux emprunts, se retrouve dans la symphonie de même que leur caractère quasi monothématique, tout comme le développement procédant plus par jeux rythmiques et modulations que par réelle extension du thème. Enfin, le second mouvement "Allegretto" de cette 7e symphonie, véritable marche funèbre, montre de façon éloquent comment Beethoven, après avoir tâtonné dans ces ouvertures, a réussi à tirer profit de l'utilisation de la métrique ancienne, puisque tout ce mouvement est basé sur l'alternance dactyle/spondée : L'inaboutissement de cette réflexion sur les formes de l'art antique et la façon de les réinventer dans ces deux ouvres plus modestes, montre le long chemin parcouru par Beethoven avant d'arriver à intégrer des éléments a priori étrangers à son écriture, et suggère de fertiles rapprochements avec la 7e Symphonie : "Apothéose de la danse", comme le voyait Wagner, ou bien plutôt triomphe classique ? La révolution française avait donné une solennité toute spéciale aux cérémonies funéraires, en imitation des Anciens. Les enterrements des héros morts pour la patrie s'accompagnaient ainsi d'une musique qui entendait retrouver l'apparat des hymnes antiques, comme en attestent la Musique funèbre pour la mort du général Hoche de Paisiello ou, mieux, la Marche lugubre de Gossec composée en 1790 à la mémoire des soldats tués à la bataille de Nancy, qui utilise exactement les mêmes figures rythmiques que la petite marche de l'introduction lente de l'ouverture des Ruines d'Athènes. Beethoven avait été le premier, en référence évidente à ces cérémonies, à intégrer une marche funèbre dans une ouvre musicale, d'abord en 1801 dans la sonate n°12 opus 26 avec sa Marcia funèbre sulla morte d'un Eroe, qu'il orchestra pour la musique de scène de Léonore Prohaska (WoO 96, 1814) puis, bien sûr, dans sa Symphonie n°3 Héroïque opus 55 (1804). Mais, ici, il a sans doute essayé d'aller plus loin qu'une simple référence aux musiques révolutionnaires, et a sans doute voulu recréer un style moderne empruntant certaines tournures classiques, une équivalence musicale du style d'un Goethe. Comme l'a souligné Elisabeth Brisson, cette référence antique, plus ou moins évidente car totalement intégrée ensuite à son écriture, est constante dans l'ouvre de Beethoven. Ne voulait-il pas faire de sa Dixième Symphonie une fête à Bacchus ? |
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Publié avec l'accord de l'auteur. |
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