Allegro
Allegretto vivace e sempre scherzando
Adagio molto e mesto - Allegro - Adagio ma non troppo - Presto
“ Croyez-vous que je pense à vos misérables violons lorsque l’Esprit me parle ? ”
L’écriture des six quatuors à cordes, Op.18, avait été pour Beethoven l’occasion de passer en
revue les différents moyens techniques mis à sa disposition par cette formation. En outre, il en avait
profité pour faire un genre de synthèse des œuvres de Haydn et Mozart. Il laissa mûrir six longues
années le fruit de ce travail et ce n’est qu’en 1806 qu’il mit sur le métier un nouveau quatuor, qui
serait le premier d’une série de trois dédiés au Comte Razoumovsky, son protecteur et ami.
Le résultat est vertigineux et nous met d’emblée face à une enigme : comment Beethoven a-t-il pu
lui même être aussi conscient de l’importance historique que revêtait cette œuvre ? Vis à vis de ses
quatuors, plus que de toute autre composition, il gardera d’ailleurs toujours cette lucidité. C’est
d’autant plus remarquable qu’evidemment, le public ne fut pas là pour l’y aider : l’accueil ne fut
pas glacial, il fut incendiaire. “Une mauvaise farce de toqué, une musique de cinglé” écrivait un
journal de Vienne à propos de la première exécution de ce 7ème Quatuor. Cela laisse bien imaginer
les commentaires sur les œuvres de la denière période du compositeur.
Ce septième quatuor est une provocation et c’est sans doute cela qui choqua. Provocation parce que
la structure en est tout à fait classique et s’inscrit tout à fait dans le prolongement des réalisations
précédentes. Mais la cassure la plus évidente vient des dimensions ; les numérations des mesures
sont éloquentes : le Scherzo en a plus de quatre cents ! Du coup, malgré la structure classique, on
se retrouve face à un quatuor de près de quarante minutes, où Beethoven s’est permis des
développements gigantesques. La deuxième cassure vient du traitement des instruments : l’écriture
est serrée, dense et parfois acrobatique. La partie de premier violon hésite entre la sonate et le
concerto, et le second violon et l’alto n’ont parfois rien à lui envier. Mais surtout, le coup de maître
c’est que le quatrième instrument, globalement limité jusque là au rôle de basse harmonique,
s’élève tout à coup en soliste : les thèmes des quatre mouvements sont confiés au violoncelle. Les
musiciens qui le créèrent crurent eux même à une plaisanterie et la phrase citée en en-tête est la
réponse que le compositeur leur fit.
Le thème du premier mouvement confié mystérieusement au violoncelle est un des plus géniaux de
Beethoven : il lui coûta des mois d’efforts. On en a retrouvé plus de cent esquisses. L’effet de ce
thème ascendant, énoncé à la dominante (fa majeur n’arrive qu’à la vingtième mesure !), repris au
premier violon est électrisant. Il est suivi par l’énoncé du deuxième thème chantant et rêveur aux
deux violons d’abord puis aux deux autres instruments. L’exposition se poursuit sans heurts ; et
soudain l’explosion : un vigoureux arpège du violoncelle donne le signal d’un développement
foudroyant à l’écriture virtuose et éblouissante. D’une façon magistrale, après avoir été explorer les
tonalités les plus extravagantes, Beethoven ramène le thème initial. Loin de conclure rapidement, il
développe la coda et retarde l’aboutissement à l’aide d’un fugato arpègé.
Le deuxième mouvement a tout d’un Scherzo sauf la taille ! Le premier thème, magistral camouflet
aux tenants d’une sacro-sainte mélodie, est une variation rythmique sur une seule note, confié au
violoncelle puis à ses collègues. C’est d’ailleurs sur le plan rythmique que tout le développement
va s’articuler. D’une manière parallèle à la façon dont dans le premier mouvement il avait étudié de
multiples tonalités, Beethoven va maintenant explorer les rythmes les plus nouveaux : syncopes
alternées ou autres babioles forment un mouvement où on ne sait plus où donner de la tête.
Loin de ces joyeuses considérations, le tragique troisième mouvement est un des plus poignants de
Beethoven. La lente mélodie du premier violon s’élève avant d’être reprise dans l’aigu au
violoncelle. Un second thème d’un pathétique serein alterne ensuite. Dans le développement, par
dessous la plainte très liée et mélancolique des trois autres instruments, les pizzicati du violoncelle
colorent d’une façon obsédante cette marche funèbre. Elle s’arrête de manière assez inattendue et,
amené par une série de gammes du premier violon, s’élève un trille joyeux et enjoué qui annonce le
quatrième mouvement. Le Thème Russe bon enfant, confié au violoncelle, repris au premier violon
va déclencher la cataracte de rythmes contrastés et de variations mélodiques qui composent ce
mouvement, rythmes qui se brisent soudain en un Adagio pensif et timide, comme refusant de
conclure l’œuvre, qui meurt doucement, avant de s’enchaîner avac quelques mesures d’un Presto
définitif sur l’accord de Fa majeur.
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